29 janvier — 4 mars 2022
Artiste : Nicolas Daubanes
Prix Drawing Now 2021
Le chiffre noir désigne l’écart de subjectivité entre deux forces antagonistes. Par exemple, les décalages entre les estimations du nombre de participants à une manifestation, du point de vue de l’organisateur ou des forces de l’ordre. Entre fantasme et rationalisme, ces chiffres s’avèrent finalement faux puisque fondés sur une inconnue. C’est à ces inconnues que s’attaque cette exposition.
L’exposition Le Chiffre Noir de Nicolas Daubanes n’est pas une promenade de plaisance. Bien au contraire. Les sujets traités par l’artiste ne sont ni beaux ni légers. Et pourtant. Dans sa pratique, Nicolas Daubanes se confronte aux matières les plus solides, ou encore les plus fragiles, qui se créent à partir du feu. Pour cette exposition personnelle au Drawing Lab, béton, verre, céramique, limaille de fer (signature)… constituent des œuvres porteuses d’histoires qui nous interrogent dans notre rapport avec le passé et le souvenir collectif.
Dans la vidéo Société tu m’auras pas !, Nicolas Daubanes plonge le spectateur dans l’univers carcéral d’un prisonnier à perpétuité. De cette vie de détenu, l’artiste n’en révèle rien mais donne au contraire à voir un moment d’évasion virtuelle. C’est dans un jeu vidéo que le détenu peut encore se donner l’illusion de parcourir des rues, marcher, courir et prendre seul des décisions qui engendrent des actions immédiates. Devenus voyeurs d’une scène finalement intime, nous découvrons alors le rapport antagoniste entre liberté et prison, rêve et réalité, pouvoir et contrainte. La partie de jeu vidéo est le refuge d’une exclusion sociale, tout comme la cellule de béton devient un espace de sécurité et de protection, pour tous.
Ce béton, qui fonde les murs les plus épais, Nicolas Daubanes le fabrique, l’édifie et le fragilise en y ajoutant du sucre, ce geste des résistants de la seconde guerre mondiale qui sabotait insidieusement le mur de l’Atlantique en glissant du sucre dans les bétonnières. D’élément d’architecture protectrice, le béton devient support de la révolte et de l’indignation. Ce qui se passe derrière ces murs de béton est silencieux, inaudible. Pourtant l’artiste donne à lire ces cris de révolte, de peur ou d’horreur de l’histoire. Si on pense que certaines choses sont dures à dire, alors peut-être que les donner à lire les rend plus simple à accepter ? Le béton peut former des remparts, des bunkers destinés à se protéger des attaques, ou encore des prisons. Ces prisons peuvent être celles dans lesquelles on détient les individus de la Justice, mais aussi ceux de l’injustice.
Alors, dans ces murs, il existe parfois quelques ouvertures qui permettent une vue sur l’extérieur. Comme un rêve d’évasion, un souvenir ou encore un dernier espoir, Nicolas Daubanes rend les portes de prisons fermées transparentes et perse les murs de béton armé pour y dessiner des fenêtres. De ces fenêtres, on peut apercevoir des forêts dessinées à poudre d’acier directement sur les vitres elles-mêmes. Une absence de profondeur qui donne le sentiment d’avoir le nez collé sur la vitrine, d’être prisonnier de la nature. La limaille oxydée révèle certains éléments d’une couleur orange, presque rouge-sang, et les nuances de gris rendent les arbres menaçants plongés dans une brume laiteuse qui constituent des images semblables à des photographies d’archives. Ces forêts que l’artiste donne à contempler sont celles qui ceinturent l’ancien camp de concentration de Natzweiler-Struthof, créé en 1941 en Alsace, qui a détenu plus de 52 000 prisonniers et tué près de 17 000 personnes.
Mais Le Chiffre Noir est également un message d’espoir et d’indignation. Le pavé parisien laisse place à la brique de céramique marquée de la limaille de fer chaude. Cette brique est déformée sur ses arrêtes, laissant les empreintes de la main qui l’a saisie avant qu’elle ne soit sèche. Le geste de l’artisan est aussi celui de l’acteur, l’informé éveillé qui réagit face à son histoire. C’est bien cela que questionne Nicolas Daubanes dans son exposition : il rend ce cri sourd visible par l’art. Chacun garde en mémoire la lourde charge de conserver le souvenir des « actes » passés : transmettre pour ne pas être oubliés et devenir de simples chiffres.
#lechiffrenoir
@drawinglabparis
Nicolas Daubanes, Mont Aiguille, Vercors, d’après L’Île des morts (Die Toteninsel) d’Arnold Böcklin, 2021.
Poudre d’acier aimantée, 80 × 150 cm © Droits réservés
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Vernissage
Samedi 29 octobre 2022 — de 15h à 19h
En compagnie de l'artiste
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Rencontre avec Nicolas Daubanes
par Philippe Piguet
Mercredi 16 février 2022 — 19h30
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Presse
Le prix Drawing Now
Depuis 2011, le Prix Drawing Now permet de soutenir un artiste dessinateur et de saluer le travail de sa galerie. Décerné à l’occasion de Drawing Now Art Fair, le prix est doté de 10 000 euros dont 5 000 euros pour l’artiste et 5 000 euros de budget de production pour une exposition au Drawing Lab, le centre d’art dédié au dessin contemporain. Le Prix Drawing Now est soutenu par SOFERIM.
Le comité est constitué des membres du comité de sélection du salon, composé pour l’édition de 2021 de :
— Joana P. R. Neves, commissaire d’exposition, auteure indépendante, directrice artistique de Drawing Now Art Fair ;
— Emilie Bouvard, historienne de l’art et conservatrice du patrimoine ;
— Anita Haldemann, directrice adjointe et responsable du Kupferstichkabinett (Département des estampes et des dessins) au Kunstmuseum Basel ;
— Catherine Hellier du Verneuil, historienne de l’art et collectionneuse ;
— Pascal Neveux, directeur du Fonds Régional d’Art Contemporain Picardie ;
— Philippe Piguet, critique d’art et commissaire indépendant (directeur artistique de Drawing Now Art Fair de 2010 à 2018) ;
— Daniel Schildge, collectionneur ;
— Annabelle Ténèze, directrice - les Abattoirs, Musée d’art moderne et contemporain- Frac Occitanie Toulouse ;
Et du principal mécène du Prix :
— SOFERIM, représenté par Jean Papahn, fondateur et président.
L'artiste
Nicolas Daubanes
« J’investis des questions essentielles : la vie, la mort, la condition humaine et les formes sociales qui les façonnent. Dans mes derniers travaux, la vitesse, la fragilité, la porosité, l’aspect fantomal des images et des matières, transmettent la pression du passé au croisement de ce qui va advenir. Mon travail s’inscrit dans la durée, il dessine un chemin, une trajectoire qui tend vers la recherche de la liberté, du dégagement de la contrainte. Je tâche d’expérimenter l’intensité et la rigueur, je joue avec le danger, mental, visuel, physique. »
Nicolas Daubanes réalise un travail autour du monde carcéral (dessins, installations, vidéos) issu de résidences immersives dans les maisons d’arrêt, depuis près de 10 ans. Depuis ses dessins à la limaille de fer aux monumentales installations de béton saboté au sucre, Nicolas Daubanes s’intéresse au moment combiné de la suspension et de la chute : il s’agit de voir avant la chute, avant la ruine, l’élan vital. La limaille de fer, matière fine et dangereuse, volatile, utilisée dans les dessins et walldrawings, renvoie aux barreaux des prisons, et par extension à l’évasion. Le béton chargé de sucre est inspiré du geste vain des résistants pendant la seconde guerre mondiale pour saboter les constructions du Mur de l’Atlantique. Temporaire et fugitif.
Nicolas Daubanes est né en 1983 à Lavaur, il vit et travaille à Marseille. Il a exposé dans de nombreuses institutions comme la Villa Arson, les Abattoirs (FRAC Occitanie Toulouse), le FRAC Occitanie Montpellier, le MRAC Sérignan... Les œuvres de Nicolas font partie de collections privées et publiques importantes notamment le FRAC Occitanie Montpellier, le FRAC Provence-Alpes-Côte-d’Azur... Nicolas est lauréat du Prix Yia 2016, du Grand Prix Occitanie d’art contemporain 2017 et du Prix Mezza- nine Sud les Abattoirs 2017. Il est lauréat du Prix des Amis du Palais de Tokyo, 2018. En 2019, 2020 il bénéficie d’expositions personnelles au FRAC Provence-Alpes-Côte- d’Azur, au Château d’Oiron et au Palais de Tokyo.
Nicolas Daubanes est lauréat du Prix Drawing Now 2021.