Juste au bord
Actualité d'artiste
Communiqué
Pour sa première exposition au sein de la Galerie 8 + 4, Christian Lhopital met en tension quelques œuvres anciennes et ses nouvelles séries réalisées ces derniers mois. Persuadé que le dessin ne peut être réinventé qu’à condition de se frotter ouvertement avec les problématiques de la peinture, du frottage, du collage, et de l’image en général, il ne cesse de s’émanciper des contraintes pour livrer des œuvres ou la représentation est soudain mise en crise. Faces (2015) laisse ainsi lentement émerger des figures à partir d’un maelström de couleurs. Les références aux grandes peintures classiques y sont manifestes. De Passage(2019) poursuit cette interrogation sur l’inframince et ce seuil ou la figuration devient plus une évocation du travail de l’image qu’une attestation du réel. Les visages y sont fantomatiques comme aspiré par la couleur. Il y a là de l’indiscernable, du doute, une forme de suspension entre le jeu amusé avec les couleurs et l’émergence de l’humain dans toute sa singularité. Fixe Face Silence (2019) rejoue cette éviction de la forme. Dans cette série, figures et environnement se fondent dans une composition altérant la distinction entre fond et figure. Le dessin y devient trouble de la vision. Rien n’émerge vraiment et il faut un œil soudain contraint par l’imagination pour percevoir dans cette poudre de graphite aux tons gris colorés quelques indices d’une présence humaine. « Je voulais mettre en jeu la rencontre entre des formes et des textures. Si ces œuvres ne sont pas à proprement parler des gammes que j’effectue, elles sont régulières. Peut-être plus que les grands formats, elles nécessitent une très grande concentration. Je dirais que le trait et la couleur sont plus pointus que dans les autres œuvres. »
Réalisées en 2021, P’tit coin de peinture perdu, prend un parti pris inverse avec une précision du trait. Pendant les périodes qui suivront les confinements, Christian Lhopital ressent un besoin de décalage. « Suite à la réalisation de grandes œuvres murales, se souvient Christian Lhopital, j’ai eu soudain envie de couleurs. » Comme toutes ses séries, celle-ci trouve ses raisons d’être dans son environnement immédiat : les bouquets qui ornent son intérieur.
L’attention qu’il porte de nouveau à ce thème se trouve renforcée par sa passion dévorante pour le cinéma. Avec étonnement, il s’aperçoit que chaque film, y compris dans des registres incongrus, comporte au moins un bouquet ; « Je me souviens notamment d’un western ou, dans une scène d’intérieur, on découvre un bouquet. » Mais Christian Lhopital sait combien le thème même du bouquet est un des lieux communs de la peinture, y compris dans ses formes les plus régressives ou décoratives. « Ce thème du bouquet chez moi revient à conforter la place du regardeur face à une image. Ce qu’il voit est bien plus qu’un bouquet. Il se déroule dans ces aquarelles et acryliques d’autres choses. Il suffit pour s’en convaincre de regarder les fonds, tous très travaillés. Il convient aussi de voir les figures qui émergent. Un regard distrait ne verrait donc que des fleurs. Mais, si on prête attention, on découvre que ces fleurs sont fausses. Bien qu’inspirés de fleurs existantes, ces motifs ne sont pas naturalistes, ce sont des inventions me permettant de travailler les tonalités, le trait, la couleur. Il en va de même pour les vases. Tous sont assez ordinaires, presque vernaculaires. Je voulais absolument éviter de peindre des vases très sophistiqués, issus du design. Ce sont de simples contenants qui me permettent de jouer avec les fonds, les tensions… Les déchirures qui apparaissent dans les marges de chaque oeuvre sont également importantes. C’est une forme d’altération de la surface, comme un trait dans l’espace qui vient contredire ou du moins dialoguer avec d’autres traits. Ce sont aussi des formes d’altération directement inspirées de ces maisons en ruine ou un pan de mur écroulé révèle un papier peint arraché par le temps. Ces déchirures sont aussi des hommages aux affichistes, groupe d’artistes qui m’a toujours fasciné. Il n’y a donc aucune nostalgie dans ces peintures. Certains ne pourront s’empêcher d’y voir des résonances avec la grande histoire de la peinture. » Mais chez Christian Lhopital la déchirure porte d’autres exigences. Elle est grignotage de la surface. Sous son action les fleurs oscillent sur ce bord maudit que sont la mort et la disparition. Par ce simple geste, l’artiste ouvre l’oeuvre à la fragilité du monde et donc une forme de plénitude, celle de la nature. Et subrepticement celle de l’homme.