« Violets are bleu and my garden is you »
Actualité d'artiste
Communiqué
Texte de Marie Maertens :
Beaucoup de premières fois ponctuent cette exposition de Camille Chastang à la galerie Double V de Marseille. Premier solo au sein de cet espace, mais aussi premières monstrations d’une partie plus intime du travail, portant sur la « bonne amie » de l’artiste. On traverse ainsi de grands formats de fleurs aux messages explicites pour qui connaît leur langage, puis on découvre des céramiques inédites sur des papiers-peints qui poursuivent les précédents travaux présentés à la Villa Arson, de Nice, ou au Drawing Factory, de Paris, avant de s’approcher de délicats portraits d’Héloïse. Ce qui nous semble parfois le plus simple, décoratif, voire anecdotique permet d’y glisser bien des messages…
Depuis le début de sa pratique, Camille Chastang aime dessiner et représenter des fleurs, ce sujet si faussement naïf. Ainsi, si l’on observe ses espèces, elles se déclinent en violettes, lavandes, iris, lys ou roses des chiens… de celles qui symbolisent l’amour homosexuel entre deux femmes. A partir du 19eme siècle, la tonalité pourpre va en effet progressivement devenir le symbole des luttes féminines. L’historienne Sarah Prager, spécialisée dans les questions LGBT, ayant même relevé que les vers de la poétesse Sapho contenaient déjà de nombreuses références à cette couleur. D’autres l’analysent comme un emblème d’égalité puisque le violet se révèle un mélange de rose et de bleu, tout en étant moins mièvre et enfantin, ou moins dramatique que le rouge. Éclatant sur la feuille, la prenant dans son entièreté en laissant peu de place au blanc, la fleur de Camille Chastang se fait conquérante. Particulièrement dans les grands formats, elle impose sa superbe et nous confronte à ses feuilles aux évocations parfois clitoridiennes ou ces pistils aux connotations non moins érotiques. Les tonalités exultent, deviennent denses et affirmées, puis, de plus petits formats vont répondre aux délicats portraits dédiés à l’amoureuse, qui se nomme Héloïse. Avec sa « bonne amie », selon un langage référencé d’antan, elle s’est amusée à développer les coutumes de la peinture miniature, qui permettaient d’étayer des messages codés quand le male gaze était majoritaire. Après les mises en scène ou les poses en costume – où l’on imagine l’ensemble de jeux entraînés dans leur sillage – une dernière série, au cadrage plus resserré et réalisée uniquement au crayon, émerge. Comme s’il fallait se défaire du superflu, afin d’atteindre l’essence du personnage. Le trait pourra alors apparaître presque timide, de cette délicatesse un peu chevrotante que l’on éprouve devant l’être aimé, tout en donnant à l’artiste la possibilité d’alterner son geste, entre de grandes élancées de couleurs et des tracés plus mesurés de crayon.
Ces herbiers et portraits sont complétés – notamment par le médium de la céramique – de nœuds divers et de froufrous, car une exposition de Camille Chastang ne serait achevée sans ces délicieux déliés quelque peu surannés. Ils pourront nous évoquer les fanfreluches de Marie-Antoinette, mais aussi les périodes de l’Art & Craft ou de l’Art Nouveau que l’artiste a beaucoup regardé, comprenant que ce ayant trait au plaisir, à la souplesse ou à la sensualité avait vite été réfréné dans l’histoire de l’art. Parfois qualifiés de nouille ou de kitch, ces mouvements furent remplacés par une approche à nouveau plus droite et plus sérieuse… en un mot, plus masculine. Mais les femmes pouvaient toujours exister en représentant des fleurs… tout comme celles qui n’étaient pas autorisées à poursuivre des études pouvaient bien se consacrer à la botanique. Nul n’y craignait le moindre danger… Certaines, à l’exemple de Rosa Luxemburg, Mary Delany ou l’orientaliste Alexandra David Neel, réussirent à se faire un nom en tentant de s’imposer dans le monde par une vision organique, opposée à celle, mécanique, du pouvoir dominant, écrit Camille Chastang, dans son essai Fond-Forme « Au fond, la fleur ». Au cœur de ce texte, elle note que les scientifiques contrôlent la nature, pour en venir à la conclusion qu’aux hommes reviennent les outils, la maîtrise technique et la forme, puis aux femmes la matière, la nature et le fond. En se laissant happer par son plaisir du faire, et en refusant toute hiérarchie des genres et des styles, Camille Chastang octroie une large place à l’improvisation. Elle offre à la pratique du dessin, longtemps concédée aux rôles des épouses, une véritable expérience et une jouissance assumée. La surprise ne se délivre jamais dans son sujet, somme toute développé depuis des siècles, mais dans cet état lâché, exalté qui l’entraîne à figurer ses feuillages ondulants et sensuels, ses formes ondoyantes. Mais encore en mêlant les tonalités vives de l’aquarelle à l’eau, en s’échauffant dans cette humidité, en y apportant une allégresse qu’elle culpabilise parfois à ressentir devant son travail… avant de s’y replonger à nouveau !